Mercredi midi 28 novembre 2018, je suis allé chercher mon fils Étienne à la sortie du lycée.Etienne a déjà tiré quelques ramiers dans la chaleur de ce début d’automne. Le regard planté dans les grands arbres verts, il sait être patient.

«  Papa , tu chasses cet après-midi ? »

Quelle question ! Les deux setters n’attendent que ça et moi avec !

La saison fut loin d’être exceptionnelle à sept cents mètres d’altitude sur le plateau jurassien, une levée par demi-journée de chasse aura suffi à mon bonheur et à celui des chiens.

Je n’ai pas trop d’inquiétude pour la gent bécassière: les copains qui chassent à 1000m font des records de levées cette année, du jamais vu selon eux et les passages en plaine ont parfois été conséquents.

Le repas est vite avalé et mon premier permis de fils est vite harnaché. Nous partons chasser une forte pente orientée plein nord est. Je suis optimiste car il pleut depuis trois jours…enfin la pluie providentielle pour ces montagnes calcaires qui n’ont pas vu une goutte d’eau depuis 5 mois !

Natchez le jeune tricolore et son oncle, Iroquois, lemon de cinq ans attaquent pleine vitesse une parcelle de gaulis. Les cloches ralentissent pour bientôt se figer. On file retrouver les chiens, je les localise et appelle mon fils…rien ne vole…Etienne est tendu, je souris intérieurement.

«coule ! »  Chaque chien part dans une direction différente, voire opposée…

« Je suis lequel Papa ?

–  Suis le vieux ! »

Cinquante mètres plus loin, les deux trajectoires convergent lentement mais sûrement. Les deux chiens de nouveau à 5m l’un de l’autre se sont arrêtés.

La bécasse fuse à ras des gaulis sans trop s’élever, je regarde mon fils qui regarde la bécasse et il tire quand elle a déjà replongé. Nos chiens n’ont aucune sagesse à l’envol et déjà ils  sont repartis pleine course dans la direction de fuite. Une minute plus tard c ‘est de nouveau le silence, mais sur la pente ici couverte de « sapineaux ».  On les trouve, tendus et buvant l’air, je demande à Etienne de contourner largement les chiens pour se placer face à eux. La bécasse ne lui en laisse pas le temps, elle monte en chandelle et Etienne tire en catastrophe surpris de la voir surgir de nulle part…Je la regarde monter à hauteur des grands sapins pour plonger vers le fond du ravin. Tant pis, ça a été chouette !

On va quand même essayer de la retrouver encore une fois. On entame la descente du ravin avec des chiens survoltés. On suit une sente à mi-pente quand les deux chiens s’arrêtent net à 50 m de nous sur la sente.

«  Va vite fils !» Fusil ouvert , il y vole ! L arrêt tient. J arrive tranquillement à 20 m dans son dos quand la bécasse décolle devant lui et rase les chiens. Ils filent derrière et reviennent aussitôt pour se figer à nouveau.

Une deuxième bécasse qui avait laissé passer les chiens décolle et se propulse dans le ravin. Pas de tir du jeune chasseur.

« Papa il y en avait deux !

– ouais j’ai vu, c ‘est un pairon, le premier que je vois de la saison ! Fallait tirer la deuxième!… Viens on va chercher la première, elle est restée à ras de terre, elle ne doit pas être loin; on va la trouver plus bas sur la sente. »

Effectivement, quelques minutes plus tard, les deux chiens sont figés en surplomb à un mètre au dessus de nos têtes . Je me régale du spectacle.

«  Va vite fils ! Place toi entre les deux ifs»

Etienne est tendu et les chiens sont sous hypnose. A cet endroit le sentier s’élargit en une placette

d ‘une vingtaine de mètres carrés. Etienne est à gauche, plutôt proche de la bordure de roche surmontée des deux setters. Je choisis de passer par la droite pour que la bécasse parte de cul ou s ‘expose à monter.

Deux ailes surgissent de terre et l’oiseau choisit de partir de cul. Il ne monte pas et reste à un mètre du sol, il prend de la vitesse en suivant le sentier…Au moment où je me dis « Là ! » la cartouche de 9 claque et la bécasse s’écroule entre deux brins de ronce. Etienne reste silencieux, les chiens jouent déjà avec l’oiseau.

Je regarde mon fils, il est ému.

«  Félicitation fils ! Nice shot!( beau tir) » Je lui serre la main et lui mets une tape sur l’épaule.

Natchez la rapporte. Etienne, tout sourire, lui prend de la gueule et instinctivement toilette sa prise. C’est une jeune comme la plupart des oiseaux prélevés en ce début de saison. La pesée indiquera 355g.

Les chiens se roulent dans les feuilles mortes. Etienne les caresse et leur refait sentir l oiseau.  Il étrenne ensuite son PMA et glisse avec fierté sa première bécasse dans son carnier sous l’oeil satisfait d’Iroquois et de son …père. Un moment parfait de bonheur.

 

Plus important que de prendre un oiseau, cette chasse à la bécasse est une bonne école pour forger son sens de l’observation et de la persévérance, développer ses facultés de concentration, son optimisme en la vie et la maîtrise de soi. Mais c’est également l’école de l’humilité où il convient aussi d’accepter ses erreurs pour en tirer les leçons.

Bref, tout ce qu’il faut à un adolescent !

Marc Bourdon CNB 13637